Si de nombreuses sources prétendent que le châtaignier a été introduit sur notre territoire par les romains, nombre d’hypothèses basées sur des analyses polliniques laissent à penser que cet arbre a précédé les légions romaines de plusieurs milliers d’années. Qu’en est-il réellement ?
Le châtaignier est un arbre forestier à feuillage caduc de la famille des fagacées, du mot « phago » qui signifie manger, en relation avec le caractère comestible de son fruit, la châtaigne. Il peut atteindre 35 m de hauteur pour un diamètre moyen de 3 à 4 mètres. Il a une grande longévité, certains spécimens ayant dépassé le millénaire (en Dordogne le plus ancien connu se trouverait sur la commune de St Cernin de l’Herm et son âge avoisinerait les 500 ans, sa hauteur est de 30 mètres et son diamètre de 8 mètres à hauteur d’homme).
Il affectionne particulièrement les sols siliceux ou sablonneux argileux, raison pour laquelle il est très présent sur une grande partie de la Dordogne. Son fruit, la châtaigne se développe dans une bogue épineuse pour échapper à l’appétit de ses prédateurs. En automne, une fois arrivé à maturité il est très largement consommé à la fois par les hommes et par les animaux. Il a par ailleurs fortement contribué à leur survie au fil des siècles, raison pour laquelle cet arbre est devenu l’emblème de tous les périgourdins.
Cette essence calcifuge est facilement acclimatable mais privilégie et favorise les sols acides et bien drainés. Il semble s’être répandu sur une large surface du territoire à partir du développement de sa culture au moyen âge.
Sa régénération se fait de façon sexuée par la germination de son fruit ou asexuée par reproduction végétative de la souche. En forêt, on le trouve sous forme de futaie (arbre franc de pied) ou de taillis (cépées composées de plusieurs brins ou rejets), le terme « taillis » définissant le mode de gestion basé sur des coupes à rotations régulières n’altérant pas les souches, pour une meilleure pérennité des peuplements en places. Hors forêt le châtaignier se présente sous la forme de vergers à production exclusivement fruitière.
Le châtaignier a participé et contribué aux économies locales qui se sont succédées en fournissant :
- le bois pour les piquets de vigne
- les clôtures ou les ganivelles
- les étais pour les tranchées durant la guerre
- le feuillard (lanières ou bandes de bois qui servent pour le cerclage des fûts )
- le chauffage, le charbon de bois et la fabrication d’outils
- la matière première des aciéries, de l’industrie du cuir (utilisation de son tanin pour assouplir les peaux et les rendre imputrescibles), de la vannerie
- la construction (le châtaignier ayant un bois solide qui ne comporte que peu ou pas d’aubier, ce qui est idéal pour le bois d’œuvre)
- la menuiserie ( parquets, lambris, etc.)
- l’ébénisterie .
Actuellement, il fait l’objet d’une surexploitation pour alimenter la fabrication de la pâte à papier et la filière bois énergie.
Aujourd’hui comme hier et probablement comme demain, son fruit, la châtaigne continuera à être transformé pour de multiples usages comme la farine, la bière, la confiserie. Sa fleur très appréciée des abeilles produit un miel de caractère, dense, foncé et corsé, qui possède de grandes vertus gustatives et médicinales. Le châtaignier étant la première essence entomophile (pollinisation par les insectes) de France, elle est une espèce très importante pour la survie des pollinisateurs. Ses feuilles et ses écorces outre le fait d’avoir des vertus médicinales déjà connues de nos ancêtres, étaient utilisées, tout comme les bogues, jusqu’au siècle dernier pour fertiliser les sols et constituer des litières pour les animaux. Cette multi fonctionnalité a valu au châtaignier nombre de surnoms parmi lesquels « arbre providence », « arbre à pain », « arbre nourricier » ou encore celui de « pain des pauvres ».
C’est dire l’importance de cet arbre comme marqueur identitaire du territoire Périgourdin.
De nos jours, le châtaignier fait partie intégrante de nos forêts Périgourdines et compte pour plus de 25% des essences présentes. Des peuplements riches et diversifiés, dont il est bon de rappeler qu’ils font partie des 4% des forêts métropolitaines possédant plus de 4 essences d’arbres. C’est sous son couvert tempéré que poussent les cèpes, les girolles, les trompettes de la mort et autres pieds de moutons. Il constitue un habitat idéal pour de nombreuses espèces d’oiseaux, de mammifères et d’insectes ; ses fruits abondants en automne, fournissent la nourriture pour la faune sauvage.
À l’heure actuelle, cet arbre est considéré « dépérissant » dans diverses stations de notre territoire.
Ce dépérissement est le fait de pathologies dues à des ravageurs comme l’encre (champignon qui contamine les racines et fait mourir l’arbre en quelques années), le chancre (autre champignon qui attaque l’écorce de l’arbre) et plus récemment le cynips (insecte à l’origine de la galle des feuilles). À ces ravageurs s’ajoute le dérèglement climatique avec des sécheresses estivales prolongées à l’origine du stress hydrique. Paradoxalement son besoin en eau est peu élevé par rapport à d’autres essences forestières ou plantes comme les cultures céréalières. Les fortes précipitations concentrées et prolongées provoquent également la pourriture de ses fruits (pourriture brune). Autant de paramètres qui, ajoutés au fait que les actuels rejets repoussent sur des souches vieilles de plus d’un siècle (voire plus), expliquent cette fragilité des peuplements et leur sensibilité accentuée aux événements climatiques et attaques parasitaires.
Ce dépérissement du châtaignier est devenu aujourd’hui le prétexte habilement mis en avant par les grosses entreprises de reboisements auprès des élus et des propriétaires forestiers, pour procéder de fait à son éradication et proposer des reboisements orientés. Une éradication qui se fait sous la forme de coupes rases avec comme finalité d’alimenter la filière bois énergie en plaquettes pour les centrales à biomasse solide. Les terrains sont ensuite travaillés avec des engins lourds et déstructurants pour les sols avant d’être amendés puis plantés très majoritairement avec des essences résineuses, histoire de répondre aux besoins capricieux et fluctuants de l’industrie. Ce programme d’enrésinement n’a rien d’anodin puisqu’il concernerait plus de 50 000 hectares de châtaigniers, soit 40% de nos taillis en place. Un chiffre fantôme non assumé par ceux qui le citent régulièrement et non confirmé par le Conseil Départemental ni par les services de l’État lors de nos échanges.
La « gestion sylvicole » mise en exergue par les coopératives prétendument forestières et les entreprises de travaux forestiers ne repose sur aucune étude scientifique et/ou technique. Cette dynamique économique couplée à une volonté politique est en contradiction avec des recherches et des expérimentations de terrain, lesquelles montrent que les peuplements de châtaigniers peuvent être résilients.
Ces pratiques industrielles font fi des études réalisées sur cet arbre et qui montrent que d’autres solutions existent pour pallier ce dépérissement. Notamment en mettant en place leur conversion ou leur transformation.
- Une conversion sous forme de peuplement feuillus mélangés avec une dominante de chêne sessile/ un taillis sous futaie dans lequel le châtaignier toujours présent aura toute sa légitimité.
- Une transformation des taillis dépérissant en futaies castanéicoles en privilégiant les semis naturels, lesquels résistent mieux aux aléas climatiques.
Des essais de rajeunissement de parcelles sont actuellement mis en place sur des stations qui conviennent à cet arbre. Les vieilles souches sont détruites puis remplacées par du franc-pied ; suite à ces tentatives, peu de dépérissements ont été constatés. D’autres actions sont en cours comme l’enrichissement ou la diminution de la densité des brins dans les parcelles.
Des pratiques sylvicoles comme la SMCC, Sylviculture Mélangée à Couvert Continu, peuvent favoriser la protection ou l’émergence du châtaignier, assurer sa pérennité et ainsi lui permettre de continuer à jouer le rôle important qui est le sien dans les écosystèmes forestiers.
Nous pouvons aussi ajouter que dans certains types de stations, la solution est peut-être de ne rien faire ; les taillis de châtaigniers dépérissant n’étant pas forcement morts sur pieds, il existe une probabilité assez grande pour qu’ils évoluent en s’adaptant aux circonstances.
L’INRA a mis au point une méthode de lutte biologique contre le cynips qui consiste à lâcher des guêpes parasitoïdes d’une espèce asiatique (torymus sinensis). Les premiers résultats dans les châtaigneraies semblent encourageants.
Malgré les difficultés qu’il traverse, le châtaignier a et aura toujours pleinement sa place dans nos forêts périgourdines. Les inquiétudes sur sa pérennité sont légitimes, mais nombre de solutions existent qui doivent être mises en place avant de le condamner définitivement. Il est et restera un arbre emblématique du Périgord avec une très forte valeur patrimoniale. Il fait partie de notre paysage et de notre culture. Dans le passé, il a déjà su montrer ses capacités de résilience et il saura probablement nous montrer dans un futur proche, qu’il est un arbre parfaitement adapté à nos territoires ruraux.